"Tel Aviv Seine" : Madame Hidalgo, il est encore temps d'éviter une faute politique (Tribune/Mediapart)

Publié : 12 août 2015 à 19h09 par La rédaction

En réponse à celle d'Anne Hidalgo justifiant l'opération Tel Aviv sur Seine à Paris Plage, Eric Coquerel, conseiller régional Ile-de-France et Danielle Simonnet, conseillère de Paris, co-coordinateurs politiques du Parti de Gauche s'adressent à la mairie de Paris en lui rappelant qu'« On ne peut pas se contenter de célébrer la dolce vitae de Tel Aviv, ses DJ et ses plages comme si de rien n'était à 50 km de là ! Il ne suffit pas d'être « cool » pour faire la paix ».

 

Madame la Maire de Paris,

Dans la tribune parue dans Le Monde en date du 12 août, « Pourquoi nous accueillons Tel-Aviv à Paris Plage ? », vous défendez le maintien en l'état de l'organisation de l'événement « Tel-Aviv sur Seine ».

 

Pour justifier ce choix, vous pointez l'esprit de tolérance de Tel-Aviv-Jaffa, dont le Maire travailliste est membre de l'opposition au gouvernement de coalition droite extrême droite de B. Netanyahou. Vous rappelez que Tel-Aviv est « inclusive » et « reste ouverte à toutes les minorités, y compris sexuelles ». Ce dernier constat mériterait d'être nuancé, au regard d'une géographie marquée par une ségrégation historique entre l'ancienne ville arabe (Jaffa) qui hormis ses espaces touristiques fait figure de zone pauvre, et la nouvelle ville construite à partir de 1909.

 

Il n'en reste pas moins vrai que Tel-Aviv, honnie des extrémistes nationalistes et religieux qui dictent la politique israélienne, peut être décrite comme progressiste, a fortiori à l'échelle d'un pays gangréné par la montée de l'extrémisme. Il est significatif, entre autres, que Tel-Aviv soit régulièrement le théâtre de manifestations pour la relance des négociations de paix.  Il est tout aussi significatif que Tel-Aviv soit la ville choisie par les arabes israéliens ayant voulu dénoncer la recrudescence des actes racistes dont ils sont victimes. On peut rappeler enfin, comme vous l'avez fait, que Tel-Aviv a hébergé la récente manifestation  « Stop à l'incitation à la haine » en réaction à l'assassinat par des colons israéliens du bébé palestinien brûlé vif, et au cours de laquelle l'oncle de ce dernier a pris la parole.

 

Pour autant ces éléments ne sauraient évidemment légitimer l'organisation de Tel-Aviv sur Seine. Tout d'abord, nous maintenons qu'il y a quelque chose d'indécent à se focaliser sur la vocation ludique d'une ville qui se définit elle-même comme une « bulle » à l'écart des problèmes de la région. Les plages de Tel Aviv ne font ni de la principale ville du pays une île, séparée d'un territoire en guerre, ni de ses habitants des insulaires, isolés des débats qui traversent leur société. On ne peut pas se contenter de célébrer la dolce vitae de Tel Aviv, ses DJ et ses plages comme si de rien n'était à 50 km de là ! Il ne suffit pas d'être « cool » pour faire la paix. Il faut s'engager concrètement pour la bâtir. Or nous savons, malheureusement que le mouvement pour la paix s'est essoufflé ces dernières années et que la question palestinienne n'était pas au centre des récentes législatives alors même que jamais la politique de colonisation n'a été aussi agressive et en réalité opposée en tous points aux résolutions de l'ONU en faveur de deux états viables. Pourtant l'heure est grave car cette politique est en passe de réduire à néant les chances de paix, d'opprimer toujours plus les palestiniens mais aussi, à terme, de miner ce qu'il reste des fondements démocratiques d' Israel en risquant d'y installer à terme un pur régime d'apartheid.

 

Dans ce contexte, quand bien même la municipalité de Tel-Aviv serait irréprochable en tout point sur le dossier israélo-palestinien, ce qui est loin de la réalité compte tenu de la rareté et du flou des prises de position du Parti Travailliste sur la relance du processus de paix, l'érection d'une cloison hermétique entre la politique d'un Etat et l'image de sa capitale de fait ne résiste pas à la réalité. Qu'on le veuille ou non, Tel-Aviv est aussi identifiée aux enjeux géopolitiques de la région.

 

Ce n'est pas autre chose que disait en 2012 les galeries d'art locales ayant refusé de participer à la Nuit Blanche de Tel-Aviv pour cesser de servir de caution d'une ville faisant non sans cynisme de la culture un « outil de contournement [et non de résolution] du conflit », Israël étant « un label difficile à vendre » en raison de sa politique extérieure. En mettant ainsi en scène une image « cool » sans dénoncer clairement la politique de B. Netanyahou, la municipalité de Tel-Aviv participe également de la construction d'une image positive d'un Etat dont le gouvernement est un obstacle à la paix. Le ministère du Tourisme israélien, qui soutient l'initiative Tel-Aviv sur Seine, qui ne se limite donc pas à la stricte « diplomatie des villes » que vous invoquez, ne s'y est pas trompé. Doit-on préciser  que ce ministère est dirigé par Yari Levin, représentant de l'aile la plus droitière du Likoud ? Auteur en 2014 d'une loi  distinguant pour la première fois entre chrétiens et musulmans parmi les citoyens arabes d'Israël, M. Levin s'était ainsi justifié : « les chrétiens et nous avons beaucoup en commun. Ils sont nos alliés naturels, un contrepoids aux musulmans qui veulent détruire le pays de l'intérieur ». On a connu mieux comme esprit de tolérance...

 

Bref, contrairement à ce que vous affirmez, Tel-Aviv sur Seine est loin d'une démonstration de paix mettant en avant les valeurs de Paris et ses positions historique pour la reconnaissance de l'Etat palestinien, pour certaines initiées par vous, de même que son engagement en faveur de la coopération avec les villes palestiniennes de Bethléem, Jéricho et Ramallah, parallèlement aux liens entretenus avec Tel-Aviv ou Haïfa en Israël. Pour que Tel-Aviv sur Seine soit une démonstration de paix, il eut fallu qu'elle ne se résume pas à un moment de ludisme ne faisant ici qu'écran à la triste réalité. Il eut fallu qu'elle s'accompagne d'un volet politique rappelant les conditions, connues, de la Paix entre Israël et la Palestine, et encourageant ainsi, entre autres, les militants israéliens qui tentent réellement, avec courage et ténacité, de réorienter la politique de leur pays tout en affirmant une opposition résolue à toute forme de racisme et d'antisémitisme. Il eut fallu que cet événement comporte une dimension palestinienne. Il eut été facile d'inviter par exemple des artistes de ces deux peuples volontaires pour faire passer un message de paix. Pas payée pour cela, l'entreprise privée à laquelle cet événement a été sous-traité n'a pas jugé utile de le faire.

 

Malgré tout en tant que Maire de Paris, vous avez encore la possibilité d'insuffler à cet événement une dimension politique progressiste même de façon symbolique. D'en faire un « Paris Plage pour la paix ». A défaut nous demandons d'annuler cet événement qui déjà, et c'est une inquiétude, suscite sur les réseaux sociaux des violences et menaces verbales inquiétantes à l'encontre de tous ceux qui osent simplement, comme nous, le critiquer y compris de la part d'institutions qui ont pignon sur rue. Ce simple fait devrait vous amener à comprendre la gravité de ce qui se passe et à réagir.

 

Dans l'espoir que vous suivrez ces conseils.

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