Assassinat Hariri : Fouad Siniora témoigne devant le TSL
Modifié : 24 mars 2015 à 11h46 par La rédaction
Le témoignage politique de l'ancien Premier ministre Fouad Siniora, devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), a commencé lundi 23 mars. Il devrait apporter un éclairage supplémentaire sur les coulisses des relations libano-syriennes durant les mois qui ont précédé l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Dans son témoignage, le chef du bloc parlementaire du Futur est prié par la défense d'évoquer la fameuse réunion qui a eu lieu fin 2003, à Damas, entre le président syrien Bachar el-Assad et Hariri, en présence de l'ancien chef des services de renseignements au Liban, Rustom Ghazalé, son prédécesseur à ce poste, Ghazi Kanaan, et le général Mohammad Khallouf. M. Siniora révèle que Hariri ne lui a parlé de cette rencontre qu'en 2004. Un jour, "il a pleuré sur mon épaule et m'a dit : je n'oublierais jamais l'humiliation que m'a fait subir Bachar el-Assad en présence des trois officiers".
"Entre Hariri et moi, il y avait un niveau élevé de communication qui ne se manifestait pas tout le temps par la parole. C'est quelqu'un qui tenait énormément à sa dignité, alors je veillais à ne pas dire quelque chose qui le pouvait le blesser. A chaque fois qu'il évoquait cette réunion, je sentais qu'il était gêné et qu'il ne voulait pas qu'on remue le couteau dans la plaie. Celle-ci était profonde, il me disait que Bachar el-Assad l'avait ridiculisé, insulté, humilié".
Selon M. Siniora, "Bachar el-Assad et son père Hafez ne traitaient pas Hariri de la même manière". En outre, "les autres membres du régime syrien recouraient à plusieurs types d'intimidation, de menaces et d'insultes", rapporte-t-il.
Des ministres choisis par le régime syrien
M. Siniora révèle d'autre part que le régime syrien imposait à Hariri les noms des ministres qui devaient faire partie de ses gouvernements. En 1997, par exemple, Hariri avait uniquement le droit de choisir trois ministres. "Il a choisi Bahige Tabbara, Samir Jisr et moi-même, le reste des ministres ayant été sélectionnés par le régime syrien". "A l'époque, Ghazi Kanaan venait parfois rencontrer Hariri au Liban, les autres fois ce dernier se réunissait avec Rustom Ghazalé, connu sous le nom de Abou Abdo, ou alors il se rendait lui-même en Syrie".
Cette année-là, Rafic Hariri s'est rendu en Syrie pour rencontrer Hafez el-Assad, et tenter de le convaincre que les circonstances politiques, économiques et sécuritaires imposaient un autre choix de ministres. Hariri a usé de plusieurs arguments, mais Assad est resté immuable. Il a dit à son interlocuteur: "Non, vous pouvez travailler avec ces ministres-là, vous êtes à la hauteur des responsabilités", se souvient Fouad Siniora.
Autre exemple de l'ingérence syrienne dans les affaires libanaises, M. Siniora se rappelle qu'en 1999, il a proposé à Hariri d'avancer la candidature de Ghazi Youssef (chiite haririen) à la présidence de la Chambre mais "des responsables syriens ont notifié Rafic Hariri de leur opposition à M. Youssef".
Plus tard, aux élections législatives de 2000, le régime syrien obligera Hariri à ajouter Nasser Kandil sur une de ses listes à Beyrouth. "Rafic Hariri était très en colère mais il était obligé d'accepter". Mais Nasser Kandil était le meilleur représentant des intérêts de Damas", souligne le témoin.
M. Siniora rappelle aussi que l'ancien président Emile Lahoud a empêché plusieurs reprises Hariri de mener à bien des réformes au Liban. M. "Lahoud pensait tout le temps que Hariri cachait quelque chose, par exemple s'il construisait des écoles, il pensait que cela aurait pour effet de renforcer sa popularité, alors il s'y opposait, tout comme il a entravé l'adoption de "grille des salaires" dans le public.
"Est ce que le président Lahoud était le seul à s'opposer à ces réformes ou les Syriens étaient également concernés ?" demande le juge David Re. "Lahoud n'était pas isolé, il était soutenu", répond Fouad Siniora. " Rafic Hariri essayait de faire entrer le Liban et son économie dans le XXIe siècle, or il y avait quelqu'un qui freinait les réformes pour que le Liban reste sous la coupe de Damas".
"Des amis très proches jusqu'à sa mort"
Interrogé sur sa relation avec Hariri, M. Siniora raconte que tous deux étaient originaires de Saïda, et qu'il ont fréquenté la même école."Notre relation s'est développée ensuite dans les années 1960 lorsque nous faisions tous les deux partie du mouvement nationaliste arabe, qui était un mouvement politique pacifique croyant au Liban. Rafic Hariri a ensuite décidé d'émigrer en Arabie saoudite".
Il s'agissait entre eux deux d'"une relation amicale fondée sur les mêmes valeurs et les mêmes principes". Nous étions des amis très proches jusqu'à sa mort", assure-t-il. "Rafic Hariri était fidèle à une cause, celle du Liban. Il croyait au Liban et à son appartenance au monde arabe".
Avant Fouad Siniora, Ghazi Youssef, député et ami proche de Rafic Hariri, Abdelatif Chamaa, ami personnel et bras droit de l'ancien chef du gouvernement, ainsi que les anciens députés Salim Diab et Ghattas Khoury avaient témoigné. Le premier responsable politique libanais à avoir apporté son témoignage était l'ancien ministre Marwan Hamadé.
L'Orient Le Jour