Cinéma: Khadija al-Salami défend les adolescentes yéménites avec sa caméra

Modifié : 11 juin 2015 à 17h11 par La rédaction

RADIO ORIENT

"Le mariage forcé de Nojoud, c'est mon histoire, je l'ai vécu dans ma chair quand j'avais 11 ans": la cinéaste yéménite Khadija al-Salami tire sa force et son inspiration de son enfance brisée.

 

Sept ans après un divorce spectaculaire obtenu au Yémen par Nojoud, une fillette de 10 ans mariée contre son gré et violentée, la réalisatrice a montré cette semaine à Paris le film de fiction qu'elle a tiré de cette histoire - "Moi Nojoom, 10 ans, divorcée" - lui rappelant sa propre expérience.

 

Son espoir est de "trouver un distributeur" pour que son film, projeté également cette semaine à Bruxelles, Amsterdam, ainsi qu'en Jordanie et dans des festivals en Corée du sud et en Algérie soit diffusé en salles dans les pays francophones.

 

Khadija al-Salami, 48 ans, qui vit à Paris après des études aux Etats-Unis, se bat pour les adolescentes de son pays. Afin qu'elles se construisent en accédant à la liberté et l'éducation.

 

Dans le film, le prénom de la fillette, Nojoud, qui veut dire "se cacher", est devenu Nojoom, l'étoile. Note d'espoir dans le noir quotidien de l'héroïne, que la lumineuse beauté des paysages yéménites filmés par la réalisatrice ne parvient pas à éclairer.

 

"Je suis moi aussi une petite yéménite qui a combattu la tradition, j'aimerais leur montrer (aux fillettes mariées de force, NDLR) que si on veut se battre, rien n'est impossible", dit Khadija al-Salami à l'AFP. Avant cette première fiction militante, qui a remporté le grand prix du festival de Dubaï, elle avait tourné 25 documentaires.

 
- Une dot pour des dettes -
 

Le film décrypte l'enchaînement des faits et croyances qui conduisent une fillette de dix ans, aux grands yeux bruns espiègles et curieux, à être battue et violée au nom de de traditions aussi ancestrales qu'obscurantistes.

 

Son "mariage" a été conclu en cinq minutes après l'échange d'une poignée de billets devant un imam vénal. La dot sert à payer les dettes d'un père pauvre, ignorant et prisonnier de traditions tribales. Il n'arrive pas à faire vivre sa famille à Sanaa après avoir fui son village, victime d'une vendetta "d'honneur" pesant sur une autre de ses filles.

 

Certaines scènes du film son tirées de la propre expérience de la cinéaste. Celles où Nojoom s'enferme dans les toilettes en se tapant la tête contre le mur, "c'est moi. J'avais 11 ans. Je passais mes journées dans la salle de bains, et je me tapais la tête contre les murs".

 

"La famille de mon mari m'a renvoyée dans ma famille pour essayer de me raisonner, mais j'ai alors menacé de me suicider. A la différence de Nojoud, ma mère a fini par me soutenir car elle a compris que sinon j'étais prête à mourir", se souvient-elle.

 
- Une jeune fille sur sept -
 

Selon l'Unicef, une jeune fille sur sept au Yémen se retrouve mariée avant 15 ans. Avant 18 ans, le ratio augmente à une sur trois, et à une sur deux dans les familles les plus pauvres, souligne la délégation de l'Union Européenne au Yémen, qui soutient la diffusion du film.

 

"Nous attendions une loi cette année interdisant les mariages avant 18 ans, nous étions bien partis, mais à cause de la guerre, l'urgence s'est désormais déplacée", se désole la réalisatrice.

 

Au passage, le film aborde aussi la question des jeunes garçons du Yémen, le pays arabe le plus pauvre, envoyés pour travailler et être exploités dans de riches familles du Golfe.

 

Pendant le tournage qui a eu lieu au Yémen en 2013, la réalisatrice est restée "très discrète sur les détails du scénario", par peur qu'on "l'empêche" de filmer.

 

Pour tourner la scène du mariage - alternance de plans d'extérieurs où des hommes dansent, poignard à la ceinture, et de plans d'intérieur où la fillette endormie avec sa poupée est brutalement réveillée par son nouveau mari - la réalisatrice a attendu "le dernier jour". "Pour éviter les ennuis".

 

Khadija al-Salami a eu une sueur froide "pour demander une autorisation de tournage dans l'enceinte du tribunal": "je venais d'apprendre que le ministre de la Justice avait épousé une jeune-fille de 13 ans (...) j'ai juste dit que la scène montrait une femme qui voulait divorcer, sans mentionner son âge".

 AFP