Dix ans après les émeutes, les banlieues se sentent toujours oubliées
Modifié : 22 octobre 2015 à 22h32 par La rédaction
Où en sont les banlieues, dix ans après les émeutes de Clichy? Malgré les discours volontaristes et la politique de la Ville, le pari de la mixité n'est pas gagné et les quartiers se sentent trop souvent oubliés. A l'approche des dix ans de la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents électrocutés le 27 octobre 2005 dans un transformateur où ils s'étaient réfugiés, les politiques réinvestissent le terrain. "Il n'y a pas de quartier perdu dans la République. Il n'y a pas une France périphérique", a affirmé mardi François Hollande, en déplacement à La Courneuve. Mais son arrivée a été saluée par des sifflets nourris, signe d'un certain malaise. Les maux des banlieues sont connus de longue date: pauvreté, relégation... Selon un rapport officiel publié en mai, le taux de chômage a atteint 23% dans les quartiers sensibles (contre 9% ailleurs) en 2013, et même 42% chez les jeunes de 15 à 24 ans. La crise financière de 2008 est passée par là, provoquant "un appauvrissement considérable d'une grande partie de la population", soulignait cette semaine lors d'un colloque à SciencesPo Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à la Sorbonne. Dans le sillage des attentats de janvier, le gouvernement a lancé des pistes pour lutter contre l'"apartheid" évoqué par Manuel Valls, en mettant l'accent sur la mixité sociale et le développement économique. Des priorités réaffirmées depuis des années par la politique de la Ville. Mais la tâche est titanesque. "Le pari de la mixité sociale n'est pas gagné. On est plus pauvres qu'il y a dix ans", résume Mehdi Bigaderne, maire adjoint de Clichy-sous-Bois. Et c'est là que le bât blesse. "Les révoltes de 2005 témoignaient d'une demande de reconnaissance, d'existence" des habitants, estimait au colloque de SciencePo Marie-Hélène Bacqué, professeur d'études urbaines à Paris-Ouest Nanterre. Mais "du point de vue de la démocratie, de la prise de parole, il n'y a pas eu de transformation des politiques". - 'Ségrégation' - "Tant qu'on ne remettra pas au coeur des politiques publiques les habitants et les citoyens, on ne règlera rien et si on pense faire sans eux on se trompe", estime Mohamed Mechmache, de l'association ACLEFEU, qui regrette amèrement l'abandon par François Hollande de sa promesse de campagne sur le droit de vote des étrangers. Du point de vue des quartiers, un progrès avait été fait avec la condamnation de l'Etat pour des contrôles au faciès. Mais celui-ci vient de se pourvoir en cassation, ce qui a indigné les associations de terrain. La relaxe en juin des deux policiers poursuivis pour non assistance à personne en danger après la mort des deux ados de Clichy a également laissé un goût amer. "Si on se place du côté des quartiers, c'est comme si la police bénéficiait d'une impunité totale", déplore le sociologue Michel Kokoreff. Et cela accentue le sentiment d'exclusion. "On observe un renforcement de la ségrégation sociale et raciale, et la population victime de cette ségrégation finit par fabriquer une contre-société plus ou moins cristallisée, avec son économie noire, ses normes sociales, et une sorte de sous-système politique qui gère plus ou moins directement la population du quartier", selon Didier Lapeyronnie, qui avoue n'avoir "aucun optimisme, dix ans après les émeutes". D'autant que le regard de la société n'est pas des plus indulgents, surtout après les attentats de janvier qui ont pu faciliter les amalgames. "Depuis dix ans, le regard sur les personnes qui vivent en banlieue ne s'est pas vraiment amélioré. Il est plus négatif aujourd'hui: ces populations qu'on agite pour faire peur, inquiéter, se bâtir un matelas électoral", déplore Olivier Klein, le maire PS de Clichy. Les révoltes de 2005 tenaient de "l'automutilation", selon lui. Et "on n'est jamais à l'abri, à Clichy ou ailleurs, que ça se reproduise". Faut-il s'en inquiéter? Pour l'élu, "il ne faut pas vivre dans cette peur-là", mais "rester dans l'action". Comme ailleurs, les habitants des quartiers "veulent participer, veulent le meilleur pour leurs enfants". AFP