En Tunisie, deux candidats, deux styles et une campagne tendue

Modifié : 18 décembre 2014 à 18h01 par La rédaction

RADIO ORIENT
Remarques méprisantes, attaques ad hominem... La campagne pour le second tour de la présidentielle en Tunisie a été marquée par des échanges agressifs entre deux candidats que tout oppose.

 

Le président sortant Moncef Marzouki et l'ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi, qui doivent s'affronter le 21 décembre, ne cachent pas leur inimitié l'un pour l'autre. Et à peine les bureaux de vote pour le premier tour le 23 novembre avaient-ils fermé qu'a commencé "une campagne douteuse dans une atmosphère viciée", selon les termes du quotidien La Presse.

 

Avant même l'annonce des résultats préliminaires, le directeur de campagne de M. Marzouki, Adnène Mancer, a mis en garde contre des fraudes au second tour. Une litanie reprise par le président sortant durant la campagne et qui lui a valu un avertissement de la part de l'instance électorale, qui s'est inquiétée de "déclarations irresponsables".

 

"Sans fraudes, ils ne gagneront pas", a ainsi martelé M. Marzouki, qui rappelle que son concurrent a servi sous deux régimes autoritaires, comme ministre sous le premier président Habib Bourguiba puis en tant que président du Parlement sous le dictateur Zine El Abidine Ben Ali.

 

- 'Burnous contre col montant' -

 

M. Caïd Essebsi, lui, a accusé son rival d'être "un extrémiste" soutenu par les "islamistes" et les "salafistes jihadistes".

 

Ces propos ont provoqué un tollé chez des habitants du Sud, où M. Marzouki est arrivé en tête, invitant dans la campagne un régionalisme tenace malgré un discours officiel qui a tenté de l'occulter pendant des décennies.

 

Des manifestations ont même eu lieu dans certaines villes contre M. Caïd Essebsi, les protestataires estimant qu'il assimilait le vote de toute une partie du pays à de l'extrémisme, ce dont l'ex-Premier ministre s'est défendu.

 

"Moncef Marzouki est originaire du Sud, il ne cesse de se réclamer de cette région-là, de dire qu'il est le candidat des pauvres, des délaissés, des anti-système", explique l'analyste tunisien indépendant Selim Kharrat. "Béji Caïd Essebsi, lui, est un +beldi+ (originaire de la capitale, Tunis, ndlr), c'est le candidat du sérail".

 

Face aux accusations "injustes", M. Caïd Essebsi a été contraint de proclamer son attachement aux régions du Centre et du Sud, parmi les moins riches du pays, en dénonçant les manoeuvres de son concurrent.

 

"Nous ne faisons pas de différence entre le Nord, le Sud ou le Centre. La Tunisie est à tous et l'Etat doit traiter tous ses enfants de la même manière".

 

Si ce régionalisme a pu aussi facilement affleurer, c'est que le phénomène "existe toujours et que l'appartenance régionale est un facteur déterminant en Tunisie" même si "elle n'est bien sûr pas le seul élément explicatif" du vote, explique Selim Kharrat.

 

Même le style vestimentaire oppose les deux rivaux. M. Marzouki refuse symboliquement de porter une cravate et s'affiche régulièrement avec un burnous -manteau traditionnel en laine-, comme à l'ouverture de sa campagne dans les souks de la médina de Tunis. M. Caïd Essebsi, qui se présente comme le garant de l'ordre et de la stabilité, dit vouloir redonner son prestige à la présidence.

 

"Burnous contre col montant", résumait en Une le quotidien Le Temps.

 

- Pas de débat -

 

Signe de son dédain pour son rival, M. Caïd Essebsi a aussi balayé d'un revers de la main sa demande de débat, lui conseillant de "laisser tomber" au nom de "l'intérêt général". "Si je débats avec M. Moncef Marzouki, je crains que ça ne devienne une affaire de 'il m'insulte, je l'insulte'", a-t-il dit sur la chaîne Al-Hiwar Ettounsi.

 

Un rejet sur lequel M. Mancer a ironisé, jugeant qu'un débat exigerait sûrement "un effort physique" pour M. Caïd Essebsi, une allusion à ses 88 ans.

 

Le même jour, M. Mancer a aussi accusé M. Caïd Essebsi d'avoir "encouragé à la consommation de drogue" après que l'ex-Premier ministre se fut dit favorable à la réforme de la loi relative aux stupéfiants, une législation largement considérée comme rigide et qui punit la consommation de cannabis d'au moins un an de prison ferme.

 

"Chaque candidat s'est défini par opposition à l'autre: si l'autre est mauvais, alors je suis bon", a résumé Abdelfattah Mourou, le vice-président du Parlement et vice-président du parti islamiste Ennahda.

 

AFP